Julian Alvarez
Université de Valenciennes
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En 2002, l’armée US propose America’s Army qui marque l’avènement de la mouvance actuelle du Serious Game. Ce titre correspondrait aujourd’hui à l’équivalent d’un Call of Duty ou Battlefield. Sauf qu’il y a une différence de taille. America’s Army est diffusé gratuitement sur Internet. Sans surprise le titre est téléchargé par plusieurs millions de joueurs à travers le monde. Via ce jeu, l’armée US promeut ses valeurs, propose à ses recrues de s’entraîner à des missions militaires en affrontant des adversaires aguerris que représentent les joueurs de la toile et enfin sert d’outil de recrutement. Ce succès, fait prendre conscience du potentiel du jeu vidéo pour faire autre chose que simplement se divertir.
En 2016, où en sommes-nous avec le développement du marché du Serious Game ?
Au niveau des studios français qui produisent des Serious Games, bons nombres de dirigeants attendent toujours l’explosion du marché prédite par certaines études économiques. L’année 2015 devait notamment atteindre plusieurs milliards d’euros. Mais, pour les dirigeants de petits studios, le marché français du Serious Game est estimé à quelques millions d’euros au mieux. Est-ce que le Serious Game est un marché qui s’éteint peu à peu ou bien doit-on chercher d’autres explications ? Une des explications réside sans doute dans le fait que d’autres acteurs ont investi le marché du Serious Game pour le transformer. Ainsi, dans le domaine de l’éducation, nous recensons plusieurs sociétés phares du jeu vidéo qui mobilisent notamment des collectifs d’enseignants nationaux ou internationaux autour de titres vidéoludiques phares. C’est le cas pour Electronic Arts avec son jeu Sim City qui se décline ainsi en Sim City Edu1. C’est également le cas pour Valve qui propose une version éducative de son jeu Portal. Et c’est également le cas pour Microsoft qui a racheté Minecraft et sa version éducative MinecraftEdu2 à la société Mojang. Cette dynamique où les grands acteurs du jeu vidéo se positionnent sur le marché de l’éducation semble se développer, car c’est notamment un moyen de redynamiser et d’amortir leurs productions en ciblant des marchés qui s’écartent du seul divertissement. C’est également une approche marketing permettant de promouvoir leurs licences au sein de l’enceinte scolaire. C’est ce qu’on appelle de l’Edumarketgame. Cette dynamique semble se développer si l’on se base sur la société Rovio, auteure d’Angry Birds, qui a lancé en 2015 un département interne appelé Fun Learning3 visant à utiliser leurs jeux dans le domaine éducatif4. Rovio va jusqu’à recruter des chercheurs pour développer cette activité. Ainsi, si les petits studios français voient le marché du Serious Game stagner à quelques millions d’euros, il semble que les milliards prévus par les études économiques se retrouvent chez les gros acteurs de l’industrie vidéoludique. En effet, Microsoft a acquis la licence de Minecraft auprès de Mojang pour 2 milliards de dollars en 2014.
Ce que nous recensons avec le marché de l’éducation se retrouve également dans le secteur de la santé qui se voit investi par Nintendo, Namco Bandai ou encore UbiSoft par exemple. Ces acteurs proposent ainsi de recycler leurs jeux existants, tels des bornes d’arcade en les modifiant pour viser notamment le marché des ainés. L’idée est de leur proposer de jouer dans les maisons de retraite et de rester ainsi en bonne santé en stimulant des zones du cerveau qui sont généralement peu sollicitées au quotidien5.
Cependant, les premières observations de terrain semblent nous dessiner une différence importante dans la manière d’impliquer les différents acteurs dans le processus de réalisation de jeux sérieux. Contrairement aux enseignants, les médecins semblent être moins sollicités dans les phases amont comme la conception. Les grands acteurs semblent plutôt inviter les médecins à se focaliser en aval sur des essais cliniques pour évaluer les jeux sérieux déjà produits ou détournés. Ainsi les enseignants semblent plutôt être mobilisés pour co-designer alors que les médecins semblent plutôt être mobilisés pour co-évaluer.
Dans ce contexte, après avoir pris le temps de vérifier nos premières observations et de tenter de comprendre pourquoi, nous tenterons d’évaluer comment le monde de l’éducation et celui de la santé accueillent respectivement les Edumarketgames. L’appropriation est-elle plus favorable dans le monde de l’éducation, car les enseignants sont impliqués en phase amont ? Les enseignants qui peuvent ainsi exposer leurs besoins, exprimer leurs idées et éventuellement se montrer garants d’une certaine éthique quant à l’introduction et la promotion de licences vidéoludiques en classe, vont-ils être associés à une appropriation plus importante des Edumarketgames que les professionnels de santé ? Pour le secteur de la santé, où les professionnels de santé se voient plutôt offrir des productions déjà réalisées ou détournées par des tiers, allons-nous constater ou non des différences dans la manière de s’approprier les Edumarketgames ? Tous ces acteurs en lien avec le monde de l’éducation et de la santé manquent souvent de moyens pour commanditer des Serious Games faits sur mesure. Le fait de proposer des jeux détournés pour opérer des économies d’échelle, favorise-t-il le phénomène d’appropriation, quelle que soit la phase d’implication, amont ou aval, dans les processus de réalisation des Edumarketgames ?
Ces questionnements liés notamment au phénomène d’appropriation seront abordés dans la communication par une approche hypothético-déductive basée sur l’utilisation de modèles liés à l’appropriation comme ceux de Serge Proulx notamment. Nous viendrons renseigner les critères liés à ces modèles par une série d’entretiens semi-directifs menés auprès d’acteurs issus des secteurs de l’éducation et de la santé. L’objectif d’une confrontation entre ces deux secteurs a pour objet d’identifier des éléments communs et des spécificités propres à chaque écosystème quant à la manière de s’approprier les jeux sérieux. De tels travaux s’inscrivent dans un objectif visant à construire in fine des modèles évaluatifs sur la manière de concevoir, diffuser et utiliser des Serious games dans différents écosystèmes.
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